Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (5)

L’école de voile de la Grande Motte

Une obsession, je pense que c’est le mot que l’on peut employer… Les bateaux, sous entendus, à voile, étaient devenus pour moi une véritable obsession.

Il avait eu les premiers embarquements sur les croiseurs côtiers de Jo mais ceci ne constituait qu’une étape. En fait, ce n’étaient pas tant les bateaux en général qui m’obnubilaient, non, moi ce qui ne me hantait c’était l’idée de posséder MON propre bateau… Souvent je fermais les yeux, j’empoignais une barre imaginaire et c’était parti… Les revues, les maquettes peinaient de plus en plus à assouvir ma passion.

Mes pauvres parents avaient fini par s’en rendre compte, mais ce n’était pas gagné. Ma mère détestait l’idée de monter sur un bateau. Son voyage en Angleterre, jeune fille, demeurait un cauchemar ancré au plus profond d’elle même. Quant à mon père, à part la pêche à la mouche, ses rapports avec l’élément liquide restaient pour le moins lointains et pour tout dire à tendances hydrophobes…

N’empêche qu’en bons enseignants qu’ils étaient tous les deux, et voulant assurer mon bonheur, un fondamental s’imposait comme une évidence : je devais user mes fonds de culotte sur les bancs d’une école… de voile !

Et ça tombait bien puisque la Grande Motte disposait d’un établissement adéquat susceptible de me fournir une instruction convenable en la matière.

C’est ainsi qu’un beau mois de juillet, sachant nager, condition sine qua non, je fus admis à suivre les cours du stage « initiation ».

À l’époque nous commencions par étudier la théorie au tableau noir, chose qui me cassait les pieds dans la mesure où j’avais depuis longtemps potassé tous les secrets du virement de bord, de l’empannage et autres finesses des manœuvres dans le Guide des Glénans, la bible pour tout aspirant navigateur à voile. La poussée vélique normale au plan de voilure opposée à la force du plan anti dérive générant la composante vitesse n’avait aucun secret pour moi !

La bible …

La pratique se déroulait sur des Caravelles. Un robuste dériveur, lourd comme un âne mort mais qui pardonnait toutes les erreurs du débutant. Nous embarquions à six plus le moniteur. Le premier exercice (musculaire) consistait sur la plage à trimbaler le gros vaisseau jusqu’à l’élément liquide.

Appareillage, accroché au hauban, casquette vissée sur la tête, je pose pour le photographe, mon père, qui a dû s’aventurer avec de l’eau au dessus du genou, un exploit, pour immortaliser l’instant…

Après la première navigation du matin, les Caravelles étaient laissées au mouillage à quelques dizaines de mètres du rivage. Heureusement, il n’y a pas de marée en Méditerranée. Il fallait regagner la plage en se jetant à l’eau et l’après-midi rebelote on levait l’ancre. Entre-temps le thermique s’était établi et un bon clapot agitait le plan d’eau. Nous nous hissions trempés sur le bateau, le soleil tapait mais le vent était bien frisquet sur les tee-shirts ruisselants et j’étais frileux.

Nous prenions la barre à tour de rôle, et nous nous partagions les postes : écoute de grand voile et foc pour le reste. Après deux heures à tirer des bords dans la baie, nous mettions le cap vers la base. Il fallait encore hâler les lourdes coques sur le haut de la plage puis plier les voiles en accordéon en suivant bien les coutures des laizes sous l’œil sourcilleux du moniteur. La journée se terminait avec de nouveaux cours théoriques, histoire de bien comprendre tout ce qui s’était passé sur l’eau.

Une semaine, le stage durait une semaine mais, de quoi nourrir l’imagination pour les mois qui allaient suivre.

Et l’année suivante c’était le stage « perfectionnement ». Cette fois nous étions lâchés à deux sur des 420. C’était du sérieux, pas de moniteur embarqué ! Ce dernier à bord de son Zodiac nous hurlait ses instructions. Dès le deuxième jour, nous tournions entre trois bouées : bord de près, largue, empannage, vent arrière, tout y passait à deux exceptions près : pas de trapèze et pas de spi. Ça, j’allais le mettre en pratique tout seul, plus tard… En fin de stage, un raid d’une journée jusqu’à la pointe de l’Espiguette, agrémenté d’un pique-nique clôturait le stage. Un épisode chouette qui préfigurait les futures croisières et randonnées côtières.

Voilà ça y était, j’étais devenu un voileux non pas diplômé mais, en principe compétent pour prendre la barre d’un dériveur en autonomie. C’est pourquoi il y eut un épisode « location ». Sur la plage du Grand Travers il était possible de louer un petit dériveur pour une heure. Deux modèles étaient proposés : le Zef, une sorte de mini Caravelle, du moins dans l’esprit, un genre de pêche promenade paisible et le Fox un peu plus sportif.

Et voilà ! Je suis à la barre d’un Fox de location, premier bateau que je barre en autonomie. Mon frère Olivier qui sera un temps mon fidèle équipier m’accompagne.

Le temps s’écoulait et les évènements allaient évoluer d’autant que les résultats aux examens en fin de classe de troisième allaient rendre leur verdict. Pas tout à fait celui escompté mais, comme tout est affaire de compromis…

Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (4)

Le bateau de Moreau, premier embarquement sur un voilier.

Chaque été, aussi loin que je m’en souvienne, la famille partait pour des vacances en camping.

Ma mère aimait la mer, mon père la montagne. Dans ces conditions c’était réglé comme du papier à musique : trois semaines à la Grande Motte et trois semaines à Pont du Fossé dans les Hautes-Alpes où le paternel traquait la truite dans le Drac. Deux destinations choisies car elles n’étaient pas trop éloignées de notre nouveau domicile vauclusien.

J’ai le souvenir d’une de ces années, nous étions en août 1971 et le séjour à Pont du Fossé m’éloignait de mes chers pontons. Pour ronger mon frein, j’avais entrepris de suivre la course de l’Aurore (ancêtre de ce qui allait devenir « La course du Figaro »). Chaque matin, je filais au village pour acheter le journal l’Aurore dans lequel je découpais soigneusement l’article du jour relatant l’étape. Ma mère me recommandait de ne pas me montrer dans le camping avec un tel quotidien réactionnaire « pas bien vu » selon elle dans notre environnement de campeurs de gauche…

J’ai toujours le dossier contenant les articles de presse. Souvenir d’un été en montagne… loin de la mer et des bateaux.

Lorsque nous avions débarqué avec nos valises dans le Midi, mes parents avaient trouvé un premier point de chute à Morières les Avignon, une maison neuve dans un lotissement qui venait d’être inauguré « le Grand Pré ». Le déménagement avait suivi et nous nous étions installés. On ne connaissait personne dans ce petit (à l’époque…) village viticole situé à sept kilomètres d’Avignon. En face de chez nous, dans la villa identique à la nôtre, habitaient les Moreau, étrangers au pays comme nous, ils étaient originaires du Jura. Nous avions lié connaissance.

Jo, le père de famille, développait une singulière industrie : il construisait un bateau en bois dans son garage, activité qui intéressait mon père, lequel avait une particularité : il savait tout faire étant lui-même « un fameux bricoleur »… Le problème, c’est qu’à l’époque toute son énergie créatrice était mobilisée par l’élaboration puis la réalisation de la nouvelle maison qu’il se proposait de bâtir à l’autre bout du village. Pas question pour lors de s’investir dans la construction navale… mais la graine était plantée…

Jo possédait en outre tous les numéros de la revue Bateaux à partir du numéro 1 et surtout une grande partie de la collection Mer de l’éditeur Arthaud dans laquelle je puisais bon nombre de lectures !

La fameuse collection mer. Je pense en avoir lu la presque totalité !

Par ailleurs, je ne lâchais pas l’affaire et je tannais en vain mes parents pour posséder mon propre bateau…

Ce sont les Moreau qui nous avaient fait connaître la Grande Motte. En ces années-là, les côtes du Languedoc se bétonnaient pour accueillir les foules de vacanciers des Trente Glorieuses. La station se développait autour d’un port de plaisance creusé dans un littoral sablonneux et marécageux infesté de moustiques que l’on éradiquait à grands renforts d’aspersions par avion de DDT.

Au début de notre fréquentation la station se limitait à un grand bassin bordé par deux bâtiments en forme de pyramides qui allaient donner leur marque de fabrique à cette ville originale. Tout autour, l’agitation de grues et de chantiers contribuait à assurer la fortune des promoteurs en faisant sortir de terre à un rythme effréné de nouveaux immeubles de villégiature.

En périphérie, une plantation de peupliers abritait du soleil des campings destinés au populo et pour nous ça tombait bien, on campait ! Chaque année quand nous revenions poser la caravane au camping GCU, de nouvelles pyramides avaient poussé comme des champignons.

La plage, je n’aimais pas trop, j’ai sable en horreur. J’étais devenu trop grand pour mon petit rafiot gonflable qui au fil du temps s’était mis à fuir comme un sous-marin russe malgré les rustines en nombre qui ornaient ses flancs telles les sabords fermées d’un vaisseau trois ponts de la Royale . Je préférais passer des heures à arpenter les pontons du port de plaisance. Au fil des années, j’en connaissais tous les bateaux.

J’arpentais les pontons du port… Notez bien le voilier au premier plan, nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard… bien plus tard…
Non franchement la plage, ce n’était pas mon truc !

Arriva enfin un évènement tant attendu. Ce devait être en 1970 ou 1971, Moreau, mon père disait « Moreau », avait achevé la construction de son bateau. Un magnifique Cap Corse, coque noire, superstructure en acajou qu’il avait baptisé Wouafi du nom d’un petit singe qu’il avait possédé en Afrique du temps où il travaillait dans le commerce des bois exotiques. L’élégant navire avait été mis à l’eau à la Grande Motte où, à l’époque, il n’était pas difficile de trouver un anneau dans le port.

Pour la première fois, j’embarquais sur un voilier. J’avais beau avoir potassé depuis des années toutes mes revues nautiques et de nombreux livres qui traitaient de la navigation à voile, le moment était solennel ! Je me souviens encore du premier commandement de Moreau : » tu regardes et tu observes » !

Le Cap Corse Wouafi, le premier voilier sur lequel j’ai embarqué. La photo est prise de la jetée du port de la Grande Motte. Les voiles sont établies, le moteur relevé mais pas les pare-battages ! Le temps est calme, le thermique ne s’est pas encore levé. Mon père qui ne sait pas nager à embarqué, confiant dans la construction de notre voisin !

Par la suite, je devais multiplier les navigations d’un jour en baie d’Aigues-Mortes avec Moreau . Ce dernier, pris par la frénésie du « mètre de plus », n’allait pas tarder à vendre son magnifique Wouafi pour successivement acquérir (le temps de la construction était passé) : une Corvette, un Alpa 7,40 et surtout un Alpa 9,50 magnifique unité italienne, dotée d’une barre à roue et sur laquelle je devais effectuer ma première vraie croisière côtière à l’occasion d’un convoyage du bateau entre La Grande Motte et Saint Raphaël.

Cette fois la photo est datée. Nous sommes en juillet 1972 et nous sommes avec Moreau sur son deuxième bateau la Corvette « Wouafi 2 ». Notez à l’arrière plan que le port n’est pas bondé ! Cerise sur le gâteau, j’avais le droit d’aller dormir quelquefois dans le bateau au port… Qui ne connaît pas l’odeur particulière de l’intérieur d’un vieux barlu en bois, ne connaît rien à la mer !

Sur les bateaux de Jo j’avais pu commencer à mettre en pratique les connaissances théoriques acquises dans les revues et les bouquins que je dévorais à longueur d’année. Ce n’était pas suffisant au yeux de mes parents pour qui un enseignement sérieux et raisonné devait être à la base de tout, surtout en matière de navigation.

Or, outre ses pyramides, ses camping, ses plages et son port de plaisance, La Grande Motte disposait en outre d’une école de voile !

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III – Les maquettes et les revues.

Le temps avait passé, mes parents avaient enfin trouvé le remède miracle à mon asthme. Tous les traitements académiques, scientifiques, magiques ou religieux ayant échoué, un seul exutoire s’était révélé efficace : les kilomètres.

Nous avions déménagé dans le midi où l’air sec d’Avignon m’avait débarrassé une bonne fois pour toutes de cette maudite affection.

Les bateaux occupaient une place de plus en plus importante dans mes pensées. L’idée d’en posséder un à moi tout seul me taraudait mais demeurait un rêve inaccessible. Les moyens de la famille n’étaient pas faramineux et tout le génie bricoleur de mon père était mobilisé pour construire et aménager la nouvelle maison.

Et puis il avait une raison évidente que l’on m’opposait régulièrement : « tu ne sais pas nager« . Argument que je trouvais ridicule dans la mesure où un bateau avait entre autres pour avantage de m’éviter de barboter dans les eaux froides des océans. Il faut croire que l’image du Titanic hantait encore les esprits des miens, plus terriens que marins dans l’âme.

En attendant, deux échappatoires allaient me permettre de patienter : les revues et les maquettes.

La bible de l’époque en matière de publication nautique c’était le mensuel « Bateaux« .

La revue Bateaux dans son format initial…

D’un format réduit, presque un livre, il contenait tout ce qu’il me fallait pour bourlinguer en imagination : les rubriques « où naviguer » avec cartes et instructions nautiques, les essais « à la barre de… », les récits des courses au large et des régates… Je détachais soigneusement la double page en milieu constituée d’une photo de voilier pour tapisser les murs ma chambre.

« La » double page de la revue… elles ont décoré les murs de ma chambre durant des années…
A une époque, au delà de la double page centrale illustrée, j’avais entrepris de « décortiquer » mes revues en compilant les articles, ici les célèbres « à la barre de… »

La course au large c’était essentiellement « la » transat en solitaire où s’était illustré notre héros national Eric Tabarly qui avait damé le pion à nos ennemis héréditaire, les anglais. Ceux-là, on ne les aimait pas trop dans la famille, surtout du coté paternel. celui-ci me racontait , qu’autrefois quand mon grand-père creusait une tranchée et que sa pioche heurtait et ripait sur un caillou, il s’exclamait, « merde encore un anglais »…

Chaque année, j’attendais avec impatience en janvier le numéro du salon nautique, épais répertoire de toutes les nouveautés. Au fil du temps, je pense que je connaissais tous les voiliers de série.

Un numéro du salon, le plus ancien que je possède date de 1972.

On le voit, j’avais résolument viré de bord et opté pour la navigation à voile, délaissant les vedettes et hors-bord de ma prime jeunesse. C’est pourquoi je snobais l’autre revue : « Neptune nautisme » qui comportait à mon goût trop de bateaux à moteur.

Si je rêvais de grands voiliers de haute mer, les dériveurs de régate, plus à ma portée constituaient une passion qui allait grandissant. En 1972 la médaille d’Or de Serge Maury en Finn et la médaille d’argent des frères Pageot en Flying Dutchmann aux JO de Munich m’avaient rempli d’une joie et d’une fierté délirantes dans la mesure où c’était la voile qui apportait à la France des médailles au pays après des années de disette olympique. Ces deux bateaux demeuraient pour moi inaccessibles. Mis à part leur coût, c’étaient des bêtes de courses impossibles « à tenir » pour un gringalet comme moi. Je lorgnais plutôt sur le Vaurien et surtout sur le 420.

J’ai assisté à la naissance d’une nouvelle revue qui m’enchantait car elle ne parlait que de voile : d’ailleurs c’était son nom « Voiles et voiliers ».

J’ai eu la chance de posséder les premiers numéros, en particulier le numéro 1 qui comportait le célèbre dessin de Jean Olivier Héron : « comment naissent les bateaux » . Magnifique dessin en noir et blanc qui se déclinait sur plusieurs pages et qui a orné les murs de mes piaules pendant un bon bout de temps, d’ailleurs, le voici extrait de mes archives.

Original de Jean Olivier Héron (il parait que c’est recherché) de la planche qui ornait le numéro 1 de la revue Voiles et voiliers

D’autres publications sont entrées dans ma bibliothèque au fil des ans, je ne les citerai pas toutes, sauf une peut-être : Loisirs nautiques.

Le premier hors série de la revue, d’autres suivront au fil des années. Une bible pour la construction amateur.

Celle-ci ouvrait d’autres perspectives car elle se consacrait essentiellement à la construction amateur. Dans l’après-mai 68, suite à la vague hippie, le voyage en bateau constituait une alternative au trip par « la route » vers l’Inde Katmandou et autres destinations « fumeuses… » Quelques doux rêveurs se lançaient dans des constructions amateurs plus ou moins réussies au fond de leur jardin dont quelques-unes aboutissaient quelquefois, pas toujours… Auzépy Brenneur, architecte à la mode, dessinait des plans pour de solides vaisseaux en acier destinés aux as de la soudure à l’arc. L’esprit était à la poésie si l’on songe à ce mode de construction invraisemblable qu’était le férociment. La bétonnière et le grillage à poule étaient censés fournir des procédés de construction miracle pour le péquin moyen. Le bois moulé permettait de solides et magnifiques réalisations tandis que l’aluminium et le polyester demeuraient le domaine réservé des chantiers professionnels dont la production n’allait pas tarder à exploser et remplir les ports de « bassines en plastique »…

Les ports de plaisance, en particulier, ceux du Languedoc nous y reviendrons bientôt…

Un autre hobby m’occupait en ces années-là : les maquettes. J’avais découvert avec ravissement la possibilité de construire de magnifiques vaisseaux. La marque phare à l’époque c’était Heller. Le catalogue en lui-même source de rêveries infinies procurait un plaisir indicible. Mais hélas, les belles pièces étaient chères … Certes, il y avait les petites boîtes dénommées « Heller cadet » mais ce n’était rien à côté des grandes, réservées aux grandes occasions … Trois Noëls allaient m’apporter trois magnifiques navires : la Santa Maria, le Pourquoi-pas ? et la Sirène.

Sur cette vieille photo mes trois vaisseaux, sur le mur le tableau de La Sirène

Évidemment, toutes ces maquettes étaient des modèles de vitrine pas destinés à flotter. Le Pourquoi-pas du commandant Charcot était un magnifique trois-mâts barque et cerise sur le gâteau, j’avais trouvé dans les archives familiales deux photos en noir et blanc du bateau avec ma grand-mère au premier plan.

Au fil des déménagements, les maquettes ont disparues… Il ne me reste que ce tableau, réalisé par un copain de classe en troisième qui avait un sacré coup de pinceau. Il s’agit de la reproduction de la boite de La Sirène.

Bon, mais en attendant, toujours pas de bateau « en vrai »…

Les choses n’allaient pas tarder à évoluer et le vent tourner.

Deux évènements allaient précipiter les choses. D’abord en classe de cinquième grâce à Monsieur Bernard, mon prof de gym, j’avais appris à nager à la piscine du 7ème régiment de Génie à Avignon. Et puis en classe de troisième, mon père m’avait annoncé : si tu réussis le concours d’entrée à l’École Normale, je te paye un 420 !

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2 – Cette fois, j’embarque !

Plus les années s’écoulaient et plus les bateaux occupaient mes pensées et mes jeux.

Certes, le train électrique constituait toujours un grand must. Mon réseau s’étoffait au fil des piqûres que je recevais pour soigner mon asthme suivant l’équation ou plutôt l’égalité : une piqûre = un wagon. J’avais vite pigé le truc, un peu plus de couinements et on passait d’un simple tombereau de marchandise à une voiture de voyageurs à boggies de type forestier de deuxième classe. Une année où l’on m’avait confié à mes grands-parents, il avait fallu le renfort d’une escouade de six bonnes sœurs pour me piquouser… avec à la clef une BB 16009.

Pourtant mon souhait le plus cher était de posséder un vrai bateau dans lequel je puisse monter. Certes, il nous arrivait quelquefois pendant les vacances d’embarquer sur un « promène couillons » mais c’était rare parce que ma mère avait mal au cœur.

Compte tenu du niveau en natation de la famille, mes parents étaient réticents pour m’offrir ne serait-ce qu’un de ces jouets de plage gonflable. Toutefois ma propension à soustraire un matelas pneumatique de notre matériel de camping pour le transformer en pirogue de haute mer finit par faire sauter le verrou et enfin :

Mon premier vrai bateau (avec la casquette qui va bien) !

Ça y était ! J’intégrais le cercle très huppé des capitaines au long court.

Mon père avait même fabriqué une superbe pagaie qui m’autorisait des évolutions hardies, par temps calme et dans des zones à faible profondeur.

Le paternel veillait sur mes navigations en prenant bien soin de rester avec de l’eau à mi-mollet, voir jusqu’aux genoux mais pas plus. Je me souviens qu’au début, un bout, enfin une ficelle qu’il attachait autour de ma taille me maintenait en laisse pour le cas ou une risée ou une vague facétieuse m’eût entraîné vers le grand large.

Qu’importe, cette fois « j’étais monté dedans », je possédais mon bateau !

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1 – Au commencement …

Je suis né loin de la mer, loin d’un lac ou d’une rivière. Plutôt en lisière de forêt, en Eure-et-Loir. Mon père qui ne savait pas nager détestait l’eau, sauf pour pêcher la truite en montagne. Maman, quant à elle, pratiquait la brasse avec raideur « là où elle avait pied », la tête bien hors de la surface et sur une distance n’excédant pas trois mètres les bons jours et par météo favorable.

À cette époque, il était impératif de patienter au moins trois heures après les repas avant de se baigner. De plus, il convenait de se saisir avec prudence au risque de couler à pic, terrassé par un funeste flux d’entrailles. En fait, j’ai appris à nager très tard, en classe de cinquième, dans la piscine du 7éme régiment de Génie à Avignon mais, ceci est une autre histoire. D’ailleurs mon Grand-père qui se disait « mâtiné breton » énonçait que les marins bretons ne savaient pas nager, cet exercice étant inutile en cas de naufrage, contraignant les malheureux souffrir plus longtemps.

Comme tous les petits garçons, je jouais avec des petites autos mais, allez savoir pourquoi, je me suis intéressé aux bateaux très tôt. Intéressé est un doux euphémisme, j’allais très vite ne penser qu’à ça.

La Dauph du paternelle

Bien sûr j’avais un train électrique, mon père aimait les trains. En voiture dans la Dauphine c’était la fête quand on se retrouvait bloqué à un passage à niveau, on allait voir passer un touf !

Lorsqu’on descendait dans le Midi, avant l’autoroute, on passait par Saint-Étienne puis le col de la République pour rejoindre la vallée du Rhône. Or, à Saint-Étienne, il y avait un truc épatant : des trains au milieu de la ville : des tramways ! Avec mon frangin, on cessait de se fritter dans l’auto pour contempler cette curiosité incroyable.

Bon mais, je m’éloigne des bateaux, en fait pas tant que ça. Dans le Massif central, il y avait la Bourboule. 

Je me dois de vous confier qu’enfant, j’étais affecté d’une maladie chronique : l’asthme. Dans le climat humide de l’Eure-et-Loir, d’octobre aux premiers beaux jours de l’été, j’étais en permanence cloué au plumard par cette fichue saloperie.

Parmi tous les traitements qu’avaient tentés mes pauvres parents pour me soulager (je vous passe sur les séjours à l’hôpital Rothchild pour les allergies, l’homéopathie (pau’ Juliette…), les pèlerinages à Lourdes, la croix Vitafor et autres posologies exotiques, il y avait les cures thermales à la Bourboule et au Mont d’Or.

Une canule dans le pif et en avant les gaz ! Mon frère m’accompagnait au prétexte qu’il avait le nez qui coulait en hiver (malgré l’avis de mon grand père qui prétendait qu’il valait mieux avoir la goutte au nez que la crotte au cul)

La cure c’était pas terrible. Le matin on allait aux thermes pour respirer des gaz en s’enfilant des canules dans le nez, on se fadait des inhalations dans des bols en céramique blanche qui vous coinçait le groin, des bains de vapeur (ça c’était marrant) et même des bains de pied (indispensable pour soigner les bronches). Le moins rigolo c’était d’ingurgiter un grand verre (gradué) d’eau gazeuse au goût affreux d’œuf pourri. Ça, c’était le matin. Mais l’après-midi c’était la fête. On nous emmenait dans un grand parc avec des jeux et surtout un bassin où l’on faisait voguer de petits bateaux.

C’est là que j’ai eu mon premier bateau, celui qui m’a occupé l’esprit toute une partie de ma prime jeunesse et qui est à l’origine de rêveries infinies. C’était une vedette modèle Mouette de Meccano. Un superbe canot rouge à piles (Wonder, 4,5 volts, ne s’use que si l’on s’en sert).

Après avoir réglé le gouvernail on enclenchait le moteur et le fier vaisseau filait droit vers la rive opposée du bassin que l’on s’empressait de rejoindre en cavalant pour récupérer l’esquif avant que celui-ci ne se fracasse à l’arrivée.

Jep (vu sur Ebay)

Il arrivait parfois, allez savoir pourquoi, qu’un obstacle vienne perturber la route de la vedette. Celle-ci se mettait alors à tourner en rond au milieu du bassin sous les ricanements des autres capitaines en culottes courtes qui la plupart étaient jaloux de mon luxueux canot électrique, alors qu’eux ne disposaient que de modestes barcasses Jep en tôle et à moteur à clef.

Mon frère Olivier avait reçu, lui, le modèle « Alcyon », beaucoup moins choucard car il était dépourvu de cabine. De plus, le malheureux navire ayant été abandonné sur la plage arrière de la Dauphine un jour de canicule avait subi les affres de ce qui n’était pas encore le réchauffement climatique mais qui lui avait fait fondre le plancher de son cockpit en lui conférant un air de montagnes russes entre les sièges, ce qui nuisait gravement à son esthétique. Ceci ne dérangeait pas outre mesure mon frangin pour qui son bateau n’était destiné qu’à foncer sur le mien pour le percuter. Abordage qui ne manquait pas de déclencher de solides bagarres et règlements de compte entre nous sur les berges du bassin tandis que nos rafiots erraient abandonnés à eux-mêmes au milieu de l’océan miniature.

le bassin des Richardets : je m’occupe de la Mouette, tandis que mon frère se prépare à récupérer l’Alcyon

Le reste de l’année nous allions régulièrement visiter mon oncle Jacques et ma tante Renée à Noisy-le-Grand dans le quartier des Richardets. Ils habitaient, comme on disait à l’époque, « un pavillon » qui avait pour nous l’immense intérêt de disposer d’un chouette bassin peint en bleu dans le jardin. Sitôt la dernière bouchée du repas dominical avalée, nous filions faire naviguer nos bateaux.

À l’époque, je m’intéressais surtout aux bateaux à moteur. Je ne comprenais pas vraiment l’intérêt des voiles. Pourtant, mon oncle Bernard m’avait fait cadeau d’un joli bateau en bois à voile. Un de ces modèles que l’on pouvait admirer sur le bassin du Luxembourg à Paris. Le problème c’est que je m’obstinais  pour des raisons d’esthétique à ne pas vouloir choquer les voiles pour que celles-ci puissent se gonfler et propulser le bateau. Je bordais celles-ci à bloc. Résultat, ce couillon de bateau, une fois poussé, s’arrêtait bêtement en se dandinant et il fallait attendre longtemps pour qu’un courant d’air improbable lui permette de s’échouer sur un rivage quelconque

Non, franchement ce genre de bateau était pour le moins d’un maniement stupide et inintéressant, voué à l’oubli…

Et pourtant…