Itinéraire salé d’un marin d’eau douce ou comment j’en suis venu au voile aviron. (9)
Navigations avec le Fireball
Voilà, ça y était, j’avais enfin mon bateau !
Et alors ?
Deux programmes de navigation nourrissaient mes projets, d’une part la croisière, d’autre part la compétition, la régate.
Concernant le premier, j’allais devoir patienter. Il me faudrait prévoir un navire un peu plus adapté à cet usage. En attendant, je continuais de dessiner des plans de voiliers hauturiers (nous évoquerons ceci un brin plus tard) …
Pour ce qui était de la compétition, j’étais en principe équipé ! Le Fireball était une véritable bête de course !
Une fois le bateau lancé, je m’étais efforcé de compléter et d’améliorer son équipement. Au début, en travaillant l’été et en gagnant quelques sous, je pus me payer un spi. Le top du top c’était le Mountifield tri radial. Ensuite, on installa un avaleur de spi.
J’accélère quelque peu le film, plus tard un ensemble complet mât, bôme, tangon, Z Spar vint remplacer les espars originaux. Je dois avouer que je parvins à revendre mon mât ressoudé et ma bôme en bois ! Par la suite, disposant de revenus fixes, un jeu de voiles Chéret se substitua aux Tasker d’origine qui étaient bien fatiguées.
Pour les déplacements, j’avais un sérieux problème. Longtemps je n’ai pas eu de voiture et les régates étaient rares à Courtine.
A cela s’ajoutaient le manque d’équipier régulier, un bateau peu compétitif malgré la qualité de sa construction mais surtout un défaut de compétences de son barreur…
Je ne devais jamais régater sérieusement en Fireball, hormis quelques épreuves par-ci par-là.
Cependant durant quelques années, du lycée aux débuts dans la vie active, je multipliais autant que faire se pouvait les navigations.
En mer, en méditerranée tout d’abord avec mes parents. Principalement à la grande Motte., une fois à Toulon. Plus tard sur l’océan avec celle qui était devenue mon épouse, Marie. Un été nous avions pu rallier et naviguer à Douarnenez en Bretagne grâce à notre voiture, une poire !
Sur les plans d’eau intérieurs après Courtine, à Neuvic en Corrèze, sur la Loire sur le barrage de Villerest, sur le lac de Guerlédan en Bretagne intérieure et surtout au Grand Large à Lyon…
Ce bateau a navigué ainsi durant plusieurs années. Il a accompagné les premiers temps de ma vie d’adolescent puis d’adulte. Celle-ci a beaucoup fluctué. Je ne m’étendrai pas ici sur tous ses développements, disons simplement que j’allais assez vite entamer un parcours professionnel qui allait me conduire hors de France durant de longues années. Pour ceux que cela intéresserait, j’ai raconté tout ça dans un livre.
Pour autant d’autres bateaux n’allaient pas tarder à arriver.
J’ai toujours conservé le Fireball. Actuellement il est en cale sèche dans mon garage en attendant une restauration que j’espère prochaine…
Il est temps de passer à la suite… c’est à dire à la taille supérieure !
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Le Fireball, le Fireball, au fait, il n’a pas un nom ce bateau ?
Le bateau n’ayant pas été enregistré aux affaires maritimes, l’attribution d’un nom n’était pas obligatoire. Cependant, nous avions un numéro de voile, 9467, un numéro de plan de construction, 1079. Enfin une plaque d’identification en aluminium vissée dans le cockpit et portant le numéro 3417 nous avait été remise par l’International Fireball France.
Certains régatiers collaient un nom en grosses lettres sur le bordé de leurs bateaux. Ainsi le Flying Dutchman des frères Pajot, médaillés d’argent aux JO de 1972 à Kiel s’appelait O’Sidarta.
Pendant la construction, nous allions assister à des régates dans la région, occasion d’observer de près des bateaux « finis ». Mon père avait beaucoup apprécié un nom relevé sur un Fireball aperçu lors d’une course sur l’étang de Berre. Celui-ci était un peu long, c’était : « T’occupes pas des signaux mets du charbon« …
Au début, mon père avait proposé « Antarès« . Ça sonnait bien, c’était un nom d’étoile, d’étoile rouge (comme le rond emblème de la série). L’astre faisait partie de la constellation du Scorpion, ça tombait bien aussi puisque j’étais né en octobre, sous le signe du Scorpion…
Donc ce fut Antarès pendant un temps sans que le nom soit peint sur la coque.
Quelque temps après, sûrement après avoir vu le film et pour rester dans la veine comique, le nom « Les tontons flingueurs » lui succéda mais toujours sans marquage sur le tableau ou sur le bordé.
Enfin, j’eus une époque « bretonnante » et le nom de « Brocéliande » me séduisit au point que cette fois je le collais sur le bordé en grosses lettres blanches découpées dans du Vénilia.
Il y eut pendant un temps une inscription qui se voulait humoristique sur le bateau. Cependant celle-ci était invisible en position normale…
Comme je l’avais indiqué, j’avais voulu une peinture noire pour la coque. On avait bien avait tenté de m’en dissuader mais, je n’en avais pas démordu. Il se trouvait qu’une fois retournée, la coque à bouchains vifs ainsi peinte ressemblait furieusement à un… cercueil !
Facétieux, mon père accentua la ressemblance en peignant un trait argenté perpendiculaire au puits de dérive ce qui formait une croix parfaite et inscrivit dessous en lettres blanches : « Regrets éternels »…
Cette inscription n’était visible qu’une fois le bateau à l’envers. Or c’est bien connu, le Fireball est un dériveur volage où les dessalages ont vite fait de sanctionner la moindre erreur de navigation.
Lors d’une régate avec Dudule sur le lac de Serre-Ponçon à Savines, nous nous étions mis sur le toit suite à un méchant départ au lof incontrôlé dans le bord de vent arrière. Je me souviens de la surprise de l’équipage du bateau qui nous suivait à la vision de deux lascars s’efforçant de grimper sur un cercueil flottant… Du coup, ils étaient eux aussi allés au tas !
Cependant cette inscription n’était pas du goût de mon grand-père qui en rogne, exigea que l’effacions.
Ce qui fut fait…
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La mise à l’eau du Fireball au plan d’eau de Courtine sur la Durance.
Le Fireball était construit, accastillé, pourvu d’un mât et doté d’un jeu de voiles de base. Le bateau était magnifique, superbement réalisé. J’avais voulu une coque noire qui se mariait à merveille avec le pont et le cockpit plaqué acajou.
Petite anecdote concernant le bois : le contreplaqué venait des établissements Charles mais pour des pièces de bois massif comme le banc, le safran, la barre etc., mon prof de père avait récupéré dans son collège des pupitres d’écolier mis au rebut qui une fois poncés et débarrassés de leurs graffitis avait fourni des essences merveilleuses et d’une dureté incomparable !
Il était temps pour le bateau de quitter le garage. Comme on allait devoir le stocker dehors, il était impératif de lui prévoir une protection contre les intempéries. D’autre part, pour gagner les plans d’eau il allait bien falloir le transporter.
Mon père avait bien évidemment tout prévu !
Il s’attela tout d’abord à la fabrication d’une solide remorque qu’il voulut fonctionnelle car elle devait permettre non seulement le transport d’un dériveur, mais également lui servir de remorque porte tout.
Dans ce domaine de construction, il était à l’aise. La soudure de solides cornières achetées chez Tirat (son fournisseur de ferraille habituel) plus des roues de 4L et ressorts de suspension récupérés à la casse auto qui bordait l’autoroute allait lui permettre d’atteindre son objectif. Un chariot de mise à l’eau ajusté pile-poil aux cloisons transversales du bateau, un timon rallongé démontable pour s’adapter aux 4,93 m de longueur hors-tout, un plateau pour le vrac, tout y était…
Il entreprit ensuite de coudre une forte toile bien étanche, un taud qui protégerait le beau navire en bois du mauvais temps.
Cette fois, on était paré pour la mise à l’eau programmée au plan d’eau de Courtine où nous avions réservé un emplacement à terre assorti d’une inscription à l’Avignon Courtine Yachting Club. Depuis ce temps, toutes ces installations : le port, les pontons, le club, le schipchandler ont disparu… Le spot est désormais occupé par des Jetskis et des kitesurfers…
Et le grand moment arriva enfin !
Nous devions être au début du printemps 1975. Il faisait encore frais, un léger vent du nord soufflait mais pas ce fichu Mistral qui nous aurait contraints à repousser les essais.
Pour la circonstance, toute la famille était présente, mon père bien sûr, ma mère et mes deux frères. Dudule mon pote de navigation sur le 420 de la MJC était là aussi.
Le bateau fut descendu de sa remorque de route et posé sur son ber de mise à l’eau. On le mata, et on endrailla les voiles destinées à être hissées sur l’eau plus tard. Nous avions capelé nos gilets (achetés à la CAMIF) et Dudule avait enfilé la ceinture de trapèze Plastimo.
Zou ! on y allait !
Le bateau fut amené sur la cale, le chariot roula et toucha enfin l’eau pour la première fois !
Un cri s’éleva : il coule !
Miséricorde ! de chaque côté du puits de dérive deux jets d’eau jaillissaient et inondaient le cockpit ! En hâte je me ruais dans le bateau et pinçais les deux orifices en enfonçant un doigt de chaque côté.
On remonta le bateau au sec. Plus de peur que de mal. En fait, suite à des échanges de courriers avec l’IFF, mon père avait déplacé l’axe de la dérive de quelques centimètres, omettant de reboucher les premiers trous… Qu’à cela ne tienne, le paternel toujours muni de son couteau de poche tailla en hâte deux flipots de bois qu’il enfonça en force dans les voies d’eau. Un rebouchage sérieux au chantier naval serait effectué par la suite.
De cette première navigation, je n’ai guère de souvenir, ni même de photos… Je sais simplement qu’une fois le tragicomique épisode de la voie d’eau du départ, tout se passa bien. J’étais enfin seul maitre à bord de mon bateau. Ne restait plus qu’à naviguer !
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Le Pinasson et le Fireball... Construction navale…
J’étais élève en classe de troisième du vieux et charmant collège d’Enseignement Général Thiers à Avignon intra-muros. Le directeur, on ne mentionnait pas la fonction de principal, était Monsieur Cucumel. Nous, bien sûr, on disait Cucu en parlant de lui mais c’était affectueux. Nous éprouvions un profond respect pour cet homme, authentique héros de la Résistance, ayant occupé temporairement des responsabilités importantes dans l’administration de la ville à la Libération. Quand j’étais pris à faire une connerie, il me saisissait tendrement par les cheveux au niveau de l’oreille en tirant vers le haut, (manœuvre que je contrais en me hissant sur la pointe des pieds) et me tançait de la sorte : « Jamois, tu ramasseras tous les papiers de la cour »… Sans être un foudre de guerre, je n’étais pas un mauvais élève mais, le niveau de ma classe n’était guère élevé… Je vous épargne les détails, j’en aurais trop à raconter ce qui nous éloignerait du sujet.
Mon père qui était lui-même professeur de sciences naturelles dans ce vénérable établissement m’avait annoncé la couleur : « si tu réussis le concours d’entrée à l’École Normale, je te paye un 420« … La barre était placée très haute, cette épreuve étant à l’époque réputée très difficile.
Je vous épargne le pourquoi du comment mais, déjouant tous les pronostics, il se trouva que je me retrouvais admissible à l’écrit mais que j’échouais à l’oral. Semi-succès dans la mesure où l’oral me donnait d’office le Brevet sans avoir à me présenter à l’examen mais le plus important pour moi, râteau pour le 420…
Mon père, bon prince, prenant acte de cette demi-réussite m’annonça alors : « ben je vais te construire un bateau »
Comme je l’avais déjà expliqué, mon paternel était très doué pour les travaux manuels. Cependant, ses talents s’illustraient surtout dans les domaines de la fabrication de meubles, de la maçonnerie, de la plomberie, de la ferronnerie, voire de la mécanique automobile (et de la peinture de carrosserie), de l’élaboration d’ingénieux dispositifs divers et variés mais, pas vraiment dans celui de la construction navale…
Toutefois, il avait observé la fabrication du Cap Corse de Moreau en bois moulé et pour lui, la réalisation d’un tel petit bateau ne paraissait pas présenter un obstacle insurmontable.
À l’époque, mon père était abonné à deux revues : Sciences et Vie et Système D. Ce dernier magazine, source inépuisable d’inspiration pour les bricoleurs, publiait des exemplaires bimestriels hors série. Il se trouve que le numéro 56 était dédié à la construction de divers petits bateaux et parmi eux, d’un joli petit dériveur en bois moulé, le Pinasson.
Disons, pour avoir une idée, que c’était un petit dériveur de 3,50m assez semblable au Zef que nous louions à la Grande Motte. Sur le plan de la réalisation technique, c’était en quelque sorte la même chose que le bateau de Moreau mais en plus réduit. Si Jo avait réussi à construire un Cap Corse, il se faisait fort de venir à bout de ce genre de coquille de noix. La nouvelle maison était terminée, certes il y avait encore quelques aménagements à prévoir, mais le garage était vaste et spacieux, propre à abriter un chantier naval.
De mon côté, j’étais partagé. Sans doute, j’allais avoir un bateau, je ne remettais pas en cause les capacités de mon père mais, bon comment dire… Le Pinasson, ce n’était pas franchement sexy…
Et puis un jour, Moreau, revenant de la Grande Motte, nous parla avec enthousiasme d’un dériveur sensationnel, conçu pour être construit par des amateurs : le Fireball !
Mais, c’est que là, on changeait de dimension ! À l’époque, ce dériveur anglais de l’architecte Peter Milne était l’équivalent du 470, c’est à dire la classe bien au-dessus du 420 ! En plus candidat pour devenir série olympique ! Ah ! oui, quand même…
La construction semblait plus simple à mettre en œuvre : coque à bouchains vifs en contre-plaqué. Il suffisait de se procurer du contre-plaqué de qualité marine auprès des établissements Charles à Paris et en avant Guingand !
Et c’est ainsi, qu’ayant acquis le plan numéro 1079 auprès de l’association française des propriétaires : « l‘International Fireball France« , mon père se lança dans l’aventure de la construction navale.
L’affaire étant cependant ardue, les plans certes accompagnés d’un dossier complet présentaient une première difficulté : les mesures étaient anglaises. Leur conversion en système métrique aboutissait à des décimales infinies mais néanmoins impératives à respecter pour se conformer à la sacro-sainte jauge ! Mon pauvre père (n’oublions pas que nous n’aimions pas trop les Anglais dans la famille) s’arracha les maigres cheveux de sa tignasse pour mettre au pli les dimensions du fourbe vaisseau de la perfide Albion afin de les convertir dans des unités laïques et républicaines.
La construction fut longue, enfin me semblait-il, et épuisante. Ça, ce n’était pas du chiqué. J’ai vu de mes yeux vu, les gouttes de sueur de mon pauvre père tomber et s’étaler sur le contre-plaqué marine plaqué acajou (de première qualité). Tandis qu’une méphitique odeur d’urine en provenance de la colle de marque « Mélocol » se répandait dans le garage mal aéré.
La coque enfin terminée, il fallut s’atteler à ce qui devait permettre au fier vaisseau de prendre la mer, c’est-à-dire l’équiper d’un accastillage complet et d’un gréement.
Le mât constituait un premier obstacle de taille… Heureusement, grâce aux petites annonces du bulletin de l’IFF auquel nous étions abonnés, une solution entrant dans les budgets contraints du ministère de la Marine familiale nous fut fournie. Un exemplaire d’occasion de la marque Proctor était disponible à la vente à un prix raisonnable. La transaction fut rondement menée. Problème, le vendeur créchait en région parisienne. Qu’à cela ne tienne, le service de fret de la SNCF, le SERNAM allait se charger du transport de l’espar de l’austère banlieue parisienne au soleil de la Provence.
Tout semblait réglé quand le calendrier se sentit obligé de faire des siennes. Nous étions au milieu de l’été, et les truites du Drac attendaient impatiemment les hameçons de mon père pour achever leur bref transit des eaux cristallines du torrent alpin aux assiettes en mélanine de notre cuisine de camping de Pont-du-Fossé.
Qu’à cela ne tienne, notre voisin Giraud, communiste notoire et infirmier à l’hôpital psychiatrique de Montfavet (établissement réputé dans les milieux artistiques pour avoir accueilli parmi ses pensionnaires, Camille Claudel) proposa ses services. Contrairement à ces feignants d’enseignants, il bossait au mois de juillet et se fit fort de réceptionner le colis en provenance du Grand Nord puis de le stocker dans notre garage en attendant le retour de notre villégiature alpestre.
À Pont-du-Fossé, les truites, braves filles, se succédaient dans nos gamelles. Moi je m’en foutais, attendant chaque jour la lettre de l’infirmier communiste, annonçant l’arrivée de mon précieux mât. Eh oui ! à cette époque, pas de mail, pas de téléphone, enfin si, à la poste du village (mais ça coûtait bonbon).
Enfin, la bonne nouvelle nous parvint au camping. Sous l’auvent de la caravane Digue (cuisine latérale (le modèle « Cuisine en bout » étant notoirement plus onéreux), mon père décacheta la missive de notre très serviable voisin laquelle disait à peu près ceci : « chers amis, votre mât est bien arrivé et (point de suspension…) en deux parties ».
Un silence dubitatif avait suivi cette lecture. Je m’égosillais que non ! Le Proctor D mesurait bien 7 m et quelques mais, en un seul tronçon ! À l’examen plus attentif du message, notre infirmier psychiatrique communiste précisait que de petites billes blanches s’écoulaient du paquetage. Peut-être une agacerie de l’emballage ?
La réalité était beaucoup plus crue. La SNCF avait cassé mon mât en deux… Il faut dire qu’à l’époque la ligne qui desservait notre modeste gare de Morières-les-Avignon était assurée par des convois remorqués par des locomotives à vapeur de type 141R, chauffe au fuel certes, mais enfin ce n’était pas une raison. Mon père déclara que ces (ce sont ces mots) « empaquetés de la SNCF » n’avaient pas été foutus de transporter un mât de 7 m (et quelques) de long et qu’on allait voir ce que l’on allait voir !
Bon du coup, en rentrant à la maison, on a bien vu ce que l’on devait voir, c’est-à-dire avant tout, deux jolis morceaux de mât, soigneusement entreposés dans le garage familial à côté de la coque du Fireball terminée. Le paternel prit alors sa plume la plus acérée pour réclamer auprès du chef de gare réparation du préjudice subi. Allez savoir pourquoi, les chemins de fer français sans doute peu habitués à transporter des éléments de mâture de la région parisienne vers le Midi, après bien des tergiversations, consentirent à verser à mon père un dédommagement qui adoucit quelque peu son courroux mais ne résolvait pas mon problème dans l’immédiat.
En attendant, j’avais l’air couillon et les boules avec deux demi-mâts tout à fait impropres à propulser un dériveur de compétition vers les sommets des classements des régates à venir.
Mon père, confronté à la question, se gratta la tête. Souder, ça, il savait faire. Oui, mais la ferraille, c’est à dire, les ferronneries de volets, un portail, un soc de charrue, des trucs dans le genre mais, souder de l’aluminium… bernique. Il ne baissa pas pavillon pour autant. Il s’attela dans un premier temps à confectionner une robuste âme en fer d’une cinquantaine de centimètres d’un poids respectable susceptible de s’insérer dans le profil creux de l’espar. Grâce à un voisin qui travaillait à l’Electro réfractaire à Sorgues (ou au Pontet, je ne me souviens plus), il dégotta un soudeur capable de relier les deux tronçons du mât en un seul morceau (renforcés en plus par l’âme en fer).
C’est ainsi que se trouva résolu le premier problème : le Fireball étant désormais pourvu d’un solide mât, en un seul morceau, présentant juste une légère angulation en son milieu. Il était certes un peu plus lourd qu’à l’origine… mais enfin, les sept mètres étaient redevenus une pièce unique.
Restait la suite, à commencer par la bôme. La station-service Esso (qui accessoirement faisait office d’arrêt pour les cars Arnaud venant d’Avignon située sur la nationale à l’entrée du village et proche de notre ancien lotissement faisait également dans le commerce de la brocante. Le tôlier proposait à la vente des mâts en bois destinés selon lui à confectionner des rampes de balcon.
Pour 5 Francs de l’époque, un tronçon nous fournit de quoi produire une bôme fort acceptable qui, peinte en noir, avait de plus fort belle allure.
Restaient les voiles. Là encore, la revue de l’association nous permit d’acquérir un jeu de voiles Tasker, certes dépareillés mais assez potables. Je pus ainsi coller le numéro 9467 attribué par l’IFF dans la grand-voile dominée par le fier rond rouge, emblème de la série.
Pour l’accastillage, le magasin de Courtine me fournit les quelques taquets, filoirs, poulies et cordages nécessaires destinés à finaliser l’armement de base. Courtine c’était un plan d’eau au sud d’Avignon situé à la confluence de la Durance et du Rhône. À l’époque on y avait installé un semblant de port de plaisance, avec pontons et catways, un club de voile (Avignon Courtine Yatching Club) et un schipchandler.
Pour être complet, je me dois de préciser qu’au cours de l’année de terminale, j’avais réussi à trouver avec mon pote Dudule, un moyen de pratiquer la voile à peu de frais. La MJC de la Croix des Oiseaux (un quartier d’Avignon) y avait basé un vieux 420 que nous pouvions utiliser à volonté contre une modique cotisation annuelle. Le rafiot était passablement usé, les caissons fendus, les voiles plus proches de la robe de Madame Sarfati que d’un dériveur de régates mais baste… ça flottait.
Pour se rendre à Courtine c’était coton, je devais prendre mon vieux vélo (à 3 vitesses) retapé par mon père tandis que Dudule disposait d’un antique Solex, un des premiers modèles dont le son du moteur avait pour seule fonction d’accompagner d’un bruit harmonieux et encourageant le pédalage intensif du cyclomotoriste s’il souhaitait avancer. Les jours de Mistral, aller à Courtine était fastoche, revenir, une galère, le long du Rhône face au vent avant d’apercevoir les remparts de la cité papale et le pont Saint-Bénézet. Avec le vent du sud c’était pareil mais dans l’autre sens…
Nous étions en 1975, après trois ans le Fireball allait être mis à l’eau à Courtine.
Mon premier bateau… enfin !