Le bateau de Moreau, premier embarquement sur un voilier.
Chaque été, aussi loin que je m’en souvienne, la famille partait pour des vacances en camping.
Ma mère aimait la mer, mon père la montagne. Dans ces conditions c’était réglé comme du papier à musique : trois semaines à la Grande Motte et trois semaines à Pont du Fossé dans les Hautes-Alpes où le paternel traquait la truite dans le Drac. Deux destinations choisies car elles n’étaient pas trop éloignées de notre nouveau domicile vauclusien.
J’ai le souvenir d’une de ces années, nous étions en août 1971 et le séjour à Pont du Fossé m’éloignait de mes chers pontons. Pour ronger mon frein, j’avais entrepris de suivre la course de l’Aurore (ancêtre de ce qui allait devenir « La course du Figaro »). Chaque matin, je filais au village pour acheter le journal l’Aurore dans lequel je découpais soigneusement l’article du jour relatant l’étape. Ma mère me recommandait de ne pas me montrer dans le camping avec un tel quotidien réactionnaire « pas bien vu » selon elle dans notre environnement de campeurs de gauche…
Lorsque nous avions débarqué avec nos valises dans le Midi, mes parents avaient trouvé un premier point de chute à Morières les Avignon, une maison neuve dans un lotissement qui venait d’être inauguré « le Grand Pré ». Le déménagement avait suivi et nous nous étions installés. On ne connaissait personne dans ce petit (à l’époque…) village viticole situé à sept kilomètres d’Avignon. En face de chez nous, dans la villa identique à la nôtre, habitaient les Moreau, étrangers au pays comme nous, ils étaient originaires du Jura. Nous avions lié connaissance.
Jo, le père de famille, développait une singulière industrie : il construisait un bateau en bois dans son garage, activité qui intéressait mon père, lequel avait une particularité : il savait tout faire étant lui-même « un fameux bricoleur »… Le problème, c’est qu’à l’époque toute son énergie créatrice était mobilisée par l’élaboration puis la réalisation de la nouvelle maison qu’il se proposait de bâtir à l’autre bout du village. Pas question pour lors de s’investir dans la construction navale… mais la graine était plantée…
Jo possédait en outre tous les numéros de la revue Bateaux à partir du numéro 1 et surtout une grande partie de la collection Mer de l’éditeur Arthaud dans laquelle je puisais bon nombre de lectures !
Par ailleurs, je ne lâchais pas l’affaire et je tannais en vain mes parents pour posséder mon propre bateau…
Ce sont les Moreau qui nous avaient fait connaître la Grande Motte. En ces années-là, les côtes du Languedoc se bétonnaient pour accueillir les foules de vacanciers des Trente Glorieuses. La station se développait autour d’un port de plaisance creusé dans un littoral sablonneux et marécageux infesté de moustiques que l’on éradiquait à grands renforts d’aspersions par avion de DDT.
Au début de notre fréquentation la station se limitait à un grand bassin bordé par deux bâtiments en forme de pyramides qui allaient donner leur marque de fabrique à cette ville originale. Tout autour, l’agitation de grues et de chantiers contribuait à assurer la fortune des promoteurs en faisant sortir de terre à un rythme effréné de nouveaux immeubles de villégiature.
En périphérie, une plantation de peupliers abritait du soleil des campings destinés au populo et pour nous ça tombait bien, on campait ! Chaque année quand nous revenions poser la caravane au camping GCU, de nouvelles pyramides avaient poussé comme des champignons.
La plage, je n’aimais pas trop, j’ai sable en horreur. J’étais devenu trop grand pour mon petit rafiot gonflable qui au fil du temps s’était mis à fuir comme un sous-marin russe malgré les rustines en nombre qui ornaient ses flancs telles les sabords fermées d’un vaisseau trois ponts de la Royale . Je préférais passer des heures à arpenter les pontons du port de plaisance. Au fil des années, j’en connaissais tous les bateaux.
Arriva enfin un évènement tant attendu. Ce devait être en 1970 ou 1971, Moreau, mon père disait « Moreau », avait achevé la construction de son bateau. Un magnifique Cap Corse, coque noire, superstructure en acajou qu’il avait baptisé Wouafi du nom d’un petit singe qu’il avait possédé en Afrique du temps où il travaillait dans le commerce des bois exotiques. L’élégant navire avait été mis à l’eau à la Grande Motte où, à l’époque, il n’était pas difficile de trouver un anneau dans le port.
Pour la première fois, j’embarquais sur un voilier. J’avais beau avoir potassé depuis des années toutes mes revues nautiques et de nombreux livres qui traitaient de la navigation à voile, le moment était solennel ! Je me souviens encore du premier commandement de Moreau : » tu regardes et tu observes » !
Le Cap Corse Wouafi, le premier voilier sur lequel j’ai embarqué. La photo est prise de la jetée du port de la Grande Motte. Les voiles sont établies, le moteur relevé mais pas les pare-battages ! Le temps est calme, le thermique ne s’est pas encore levé. Mon père qui ne sait pas nager à embarqué, confiant dans la construction de notre voisin !
Par la suite, je devais multiplier les navigations d’un jour en baie d’Aigues-Mortes avec Moreau . Ce dernier, pris par la frénésie du « mètre de plus », n’allait pas tarder à vendre son magnifique Wouafi pour successivement acquérir (le temps de la construction était passé) : une Corvette, un Alpa 7,40 et surtout un Alpa 9,50 magnifique unité italienne, dotée d’une barre à roue et sur laquelle je devais effectuer ma première vraie croisière côtière à l’occasion d’un convoyage du bateau entre La Grande Motte et Saint Raphaël.
Sur les bateaux de Jo j’avais pu commencer à mettre en pratique les connaissances théoriques acquises dans les revues et les bouquins que je dévorais à longueur d’année. Ce n’était pas suffisant au yeux de mes parents pour qui un enseignement sérieux et raisonné devait être à la base de tout, surtout en matière de navigation.
Or, outre ses pyramides, ses camping, ses plages et son port de plaisance, La Grande Motte disposait en outre d’une école de voile !