III – Les maquettes et les revues.
Le temps avait passé, mes parents avaient enfin trouvé le remède miracle à mon asthme. Tous les traitements académiques, scientifiques, magiques ou religieux ayant échoué, un seul exutoire s’était révélé efficace : les kilomètres.
Nous avions déménagé dans le midi où l’air sec d’Avignon m’avait débarrassé une bonne fois pour toutes de cette maudite affection.
Les bateaux occupaient une place de plus en plus importante dans mes pensées. L’idée d’en posséder un à moi tout seul me taraudait mais demeurait un rêve inaccessible. Les moyens de la famille n’étaient pas faramineux et tout le génie bricoleur de mon père était mobilisé pour construire et aménager la nouvelle maison.
Et puis il avait une raison évidente que l’on m’opposait régulièrement : « tu ne sais pas nager« . Argument que je trouvais ridicule dans la mesure où un bateau avait entre autres pour avantage de m’éviter de barboter dans les eaux froides des océans. Il faut croire que l’image du Titanic hantait encore les esprits des miens, plus terriens que marins dans l’âme.
En attendant, deux échappatoires allaient me permettre de patienter : les revues et les maquettes.
La bible de l’époque en matière de publication nautique c’était le mensuel « Bateaux« .
D’un format réduit, presque un livre, il contenait tout ce qu’il me fallait pour bourlinguer en imagination : les rubriques « où naviguer » avec cartes et instructions nautiques, les essais « à la barre de… », les récits des courses au large et des régates… Je détachais soigneusement la double page en milieu constituée d’une photo de voilier pour tapisser les murs ma chambre.
La course au large c’était essentiellement « la » transat en solitaire où s’était illustré notre héros national Eric Tabarly qui avait damé le pion à nos ennemis héréditaire, les anglais. Ceux-là, on ne les aimait pas trop dans la famille, surtout du coté paternel. celui-ci me racontait , qu’autrefois quand mon grand-père creusait une tranchée et que sa pioche heurtait et ripait sur un caillou, il s’exclamait, « merde encore un anglais »…
Chaque année, j’attendais avec impatience en janvier le numéro du salon nautique, épais répertoire de toutes les nouveautés. Au fil du temps, je pense que je connaissais tous les voiliers de série.
On le voit, j’avais résolument viré de bord et opté pour la navigation à voile, délaissant les vedettes et hors-bord de ma prime jeunesse. C’est pourquoi je snobais l’autre revue : « Neptune nautisme » qui comportait à mon goût trop de bateaux à moteur.
Si je rêvais de grands voiliers de haute mer, les dériveurs de régate, plus à ma portée constituaient une passion qui allait grandissant. En 1972 la médaille d’Or de Serge Maury en Finn et la médaille d’argent des frères Pageot en Flying Dutchmann aux JO de Munich m’avaient rempli d’une joie et d’une fierté délirantes dans la mesure où c’était la voile qui apportait à la France des médailles au pays après des années de disette olympique. Ces deux bateaux demeuraient pour moi inaccessibles. Mis à part leur coût, c’étaient des bêtes de courses impossibles « à tenir » pour un gringalet comme moi. Je lorgnais plutôt sur le Vaurien et surtout sur le 420.
J’ai assisté à la naissance d’une nouvelle revue qui m’enchantait car elle ne parlait que de voile : d’ailleurs c’était son nom « Voiles et voiliers ».
J’ai eu la chance de posséder les premiers numéros, en particulier le numéro 1 qui comportait le célèbre dessin de Jean Olivier Héron : « comment naissent les bateaux » . Magnifique dessin en noir et blanc qui se déclinait sur plusieurs pages et qui a orné les murs de mes piaules pendant un bon bout de temps, d’ailleurs, le voici extrait de mes archives.
D’autres publications sont entrées dans ma bibliothèque au fil des ans, je ne les citerai pas toutes, sauf une peut-être : Loisirs nautiques.
Celle-ci ouvrait d’autres perspectives car elle se consacrait essentiellement à la construction amateur. Dans l’après-mai 68, suite à la vague hippie, le voyage en bateau constituait une alternative au trip par « la route » vers l’Inde Katmandou et autres destinations « fumeuses… » Quelques doux rêveurs se lançaient dans des constructions amateurs plus ou moins réussies au fond de leur jardin dont quelques-unes aboutissaient quelquefois, pas toujours… Auzépy Brenneur, architecte à la mode, dessinait des plans pour de solides vaisseaux en acier destinés aux as de la soudure à l’arc. L’esprit était à la poésie si l’on songe à ce mode de construction invraisemblable qu’était le férociment. La bétonnière et le grillage à poule étaient censés fournir des procédés de construction miracle pour le péquin moyen. Le bois moulé permettait de solides et magnifiques réalisations tandis que l’aluminium et le polyester demeuraient le domaine réservé des chantiers professionnels dont la production n’allait pas tarder à exploser et remplir les ports de « bassines en plastique »…
Les ports de plaisance, en particulier, ceux du Languedoc nous y reviendrons bientôt…
Un autre hobby m’occupait en ces années-là : les maquettes. J’avais découvert avec ravissement la possibilité de construire de magnifiques vaisseaux. La marque phare à l’époque c’était Heller. Le catalogue en lui-même source de rêveries infinies procurait un plaisir indicible. Mais hélas, les belles pièces étaient chères … Certes, il y avait les petites boîtes dénommées « Heller cadet » mais ce n’était rien à côté des grandes, réservées aux grandes occasions … Trois Noëls allaient m’apporter trois magnifiques navires : la Santa Maria, le Pourquoi-pas ? et la Sirène.
Évidemment, toutes ces maquettes étaient des modèles de vitrine pas destinés à flotter. Le Pourquoi-pas du commandant Charcot était un magnifique trois-mâts barque et cerise sur le gâteau, j’avais trouvé dans les archives familiales deux photos en noir et blanc du bateau avec ma grand-mère au premier plan.
Bon, mais en attendant, toujours pas de bateau « en vrai »…
Les choses n’allaient pas tarder à évoluer et le vent tourner.
Deux évènements allaient précipiter les choses. D’abord en classe de cinquième grâce à Monsieur Bernard, mon prof de gym, j’avais appris à nager à la piscine du 7ème régiment de Génie à Avignon. Et puis en classe de troisième, mon père m’avait annoncé : si tu réussis le concours d’entrée à l’École Normale, je te paye un 420 !