Saga africa ! Le Citron 2 et Ondine quatrième et cinquième bateaux.
Au point où nous en sommes et avant de passer à la suite, il m’apparait utile de procéder à un petit rembobinage du film.
Séquence flash-back, en septembre 1980 je partais pour la première fois à l’étranger en Roumanie. c’était dans le cadre du service national, à l’époque on parlait de « coopération ». Je vous épargne les détails, encore une fois, si cela vous intrigue, allez jeter un coup d’oeil « Trece timpul », n’hésitez pas, c’est gratuit ! Restons sur le sujet des bateaux.
J’avais laissé mon Fireball en France et je découvrais pour la première fois la réalité du paradis rouge derrière le Rideau de Fer version Ceaușescu. Disons pour résumer qu’il n’a pas fallu très longtemps au jeune instituteur public biberonné aux partis et syndicats de gauche pour virer sa cuti.
Il n’était pas question de naviguer dans ce beau pays qu’était la Roumanie socialiste. Les Roumains étaient bouclés chez eux. Tout moyen susceptible de prendre la poudre d’escampette subissait les foudres de la Securitate. Alors pensez donc, un bateau, fût-ce une misérable coquille de noix à voile… Pas de ça Lisette !
À défaut de Fireball, je me serais bien contenté de ma planche à voile mais il était interdit de naviguer avec un tel engin sur la mer Noire ! alors quoi ? Abstinence totale ?
Et bien non ! Je conserve une photo de navigation à voile de cette époque. Une image qui compte parmi celles que je préfère. Il se trouve qu’une copine de l’ambassade de France connaissait un gars nommé Dodo (pour Daurel) qui avait bricolé un semblant de voilier habitable avec lequel il faisait des ronds dans l’eau sur le lac Herăstrău situé au nord de Bucarest. Le bateau en question c’était un vieux Star, un quillard Olympique sur lequel il avait ajouté un roof et une petite cabine.
Miracle du numérique j’ai retrouvé un vieil article d’un de me mes anciens blogs où j’avais déjà évoqué le sujet : ici .
Bien, tout ça pour dire que d’une part même quand tout semble impossible, les rêves peuvent encore bousculer la réalité et d’autre part qu’après la Roumanie nous avions déclaré de manière péremptoire : « on repart n’importe où dans le monde mais surtout pas dans un pays communiste ». Et c’est ainsi qu’après deux ans à Bucarest nous sommes allés nous installer en Bulgarie. Dans la même logique, quittant ce pays six ans plus tard nous nous étions jurés de poser nos valises n’importe où dans le monde, sauf en Afrique et donc…
En 1988 nous débarquons en Afrique Orientale, à Dar Es-Salaam au bord de l’océan indien…
Pendant les six ans à Sofia, les navigations dans le pays ou en Grèce c’était avec la planche à voile. C’est aussi la période où sont arrivés les deux premiers Venexiana basés dans la mère patrie.
Cette fois nous habitons une ville au bord de la mer et dans le container de 20 pieds de notre déménagement j’avais pris soin de glisser deux planches à voile.
Au début j’avais beau avoir mon bureau à 100 mètres d’une plage de carte postale à Oyster Bay : sable blanc, cocotiers qui plongent dans une eau couleur émeraude, je passais mon temps à bosser. Je m’échappais quelquefois pour tirer des bords, croisant au hasard dauphins, tortues et même requins (dans ces cas là, je serrais des fesses et m’appliquais pour soigner mon style et ne pas tomber à la baille !).
En réalité j’étais frustré. En effet Dar es-Salaam possédait un magnifique club de voile. Seulement voilà… La Tanzanie était à l’origine une colonie allemande, le Tanganyika, devenue anglaise après la Première Guerre Mondiale. Or le Yacht Club était un club anglais, c’est à dire bouclé ! Pas question de s’y pointer : « bonjour je voudrais naviguer, à combien se monte l’adhésion ? » Bernique ! Pas moyen d’y entrer comme cela, il convenait au préalable d’être parrainé et cela pouvait prendre des mois voire des années…
J’enrageais d’autant plus que la majorité des utilisateurs du club étaient des clampins pour qui le lieu se résumait à un bon restau. C’était un endroit chic pour épouses de diplomates qui venaient papoter au bord de l’eau tandis les gamins barbotaient sous la surveillance des ayahs. Ah ! mais, ceci dit, un vrai club de voile avec des habitables au mouillages, des dériveurs et des régates en veux-tu en voilà…
On m’avait néanmoins soufflé que si j’achetais un bateau, cela faciliterait mon adhésion. Il était possible de pénétrer le saint des saints en se faisant inviter, au coup par coup. C’est ainsi que grâce à un sympathique ressortissant germanique de ma connaissance et membre du club, je me portais acquéreur de mon quatrième bateau en l’occurrence un magnifique Laser de couleur jaune arborant le fier nom de Citron 2 !
Pendant un an, toutes les semaines je me pointais à l’entrée du club où m’attendait mon fidèle ami teuton qui me faisait pénétrer dans le club. Je retrouvais mon bateau préparé par mon « boat man ». En effet, il convient d’ajouter qu’en plus du bateau, l’usage voulait que l’on embauche un « boy » qui avait pour tâche de s’occuper de l’intendance et de tout préparer de sorte qu’il ne vous restait plus qu’à prendre la barre et en voiture Simone ! Sachant qu’à la maison l’effectif de notre personnel domestique s’élevait déjà à six personnes, un de plus, un de moins… Pour qui n’a pas vécu en Afrique, tout ceci peut paraître étrange voire un brin choquant. Il n’en est rien, la réalité est beaucoup plus complexe. La perception des choses est différente. La vision du monde, du temps ne s’appréhende pas de la même façon. Un choc terrible au début lorsque l’on débarque d’Europe. Une fois de plus, j’aurais trop à dire aussi je m’arrête là et j’en reviens à l’agrume qui nous intéresse le Citron 2.
J’avais acquis le bateau, il me fallait maintenant démontrer mes qualités nautiques pour pouvoir enfin décrocher le sésame, la fichue « membership card ».
Ah misère ! Dire que j’en ai bavé avec ce rafiot est un doux euphémisme. Le Laser est un joli dériveur mais plus mal foutu, non, je ne vois pas…
Le tarif c’était une régate par semaine. Les vents étaient soutenus et bien que la baie soit abritée le clapot souvent musclé… J’éprouvais toutes les peines du monde à dompter ma monture. J’ai le souvenir d’une fois, où je ne sais pas pourquoi, pas moyen d’abattre ni d’empanner arrivé à la bouée de largue. Cette vache de Citron 2 avait mis le cap sur Zanzibar et ne voulait pas en démordre malgré mes efforts désespérés pour lui faire entendre raison ! J’ai dû dessaler pour reprendre mon cap vers la bouée suivante et finir la course.
Au fil des semaines, je régatais avec plus ou moins de bonheur mais avec beaucoup d’obstination. Mais toujours porte fermée ! À chaque fois, je devais recourir aux services de mon ami allemand pour rejoindre mon rafiot et me jeter dans la mêlée, enfin disons plutôt de tenter de suivre le paquet…
Et puis last but not least… Bingo la barrière s’ouvrit ! Les hautes autorités du club, reconnaissant enfin mes hautes compétences nautiques, m’accordaient l’insigne honneur de rejoindre leurs rangs ! J’étais parrainé mais ce n’était pas tout à fait terminé car je dus me soumettre à un examen d’entrée le « helmsman test« , le test de l’homme de barre où je dus répondre à un questionnaire genre code du permis de conduire.
Une fois membre du club tout était facile, c’était open-bar ! Je ne suis pas loin de la vérité puisque qu’on n’échangeait pas de monnaie à l’intérieur du club. À la buvette il suffisait de donner son « bar number » et tout se facturait à la fin du mois. Pas d’histoire d’argent entre gentlemen…
Quelque temps après, mon toujours aussi sympathique ami allemand me mit sur la piste d’un bateau habitable qui était à vendre. C’était un vieux plan Van de Staat, un Primaat. D’ailleurs, vous vous souvenez dans le chapitre 4, je vous avais dit d’observer le bateau au premier plan dans le Port de la Grande Motte ?
Et c’est ainsi que je pus me séparer avec soulagement de ce foutu Citron 2 pour me consacrer à Ondine. Le bateau était mouillé sur un corps mort dans la baie devant le club. Service quatre étoiles mon boat man s’occupait de préparer les voiles et nous conduisait à bord avec une solide chaloupe motorisée. Au retour il nous reconduisait à terre et retournait au bateau pour tout ranger.
Les régates n’étaient pas négligées pour autant. Cette fois ce fut un peu plus glorieux. Chaque samedi nous avions des courses à handicap et tout au long de l’année quelques épreuves un peu plus huppées pimentaient nos appétits de régatiers. C’est ainsi que grâce au petit temps qui régnait ce jour là et à mon ami Peter Darch nous remportâmes le « Hardy Trophy » . Victoire qui me valut de voir mon nom gravé sur le mur du club qui recensait les différents vainqueurs de cette vénérable épreuve ! La tradition voulait également que le trophée, en l’occurrence une grosse coupe en argent sur laquelle allait être gravé le nom du bateau et de son skipper soit le soir remplie de Brandy et fasse le tour de tous les équipages réunis dans une chaude ambiance au bar du club ! So british !
Côté croisière, c’était plutôt à la journée, Nous croisions les pêcheurs sur des pirogues à balancier et aux voiles trouées. A l’abri derrière les îles qui protégeaient la baie, les dhows, ces boutres en bois de l’océan indien écopaient après leurs traversées tumultueuses depuis Zanzibar avant d’entrer dans le port de Dar Es-Salaam pour décharger leurs cargaisons de clous de girofle.
Une fois je suis parti avec deux amis belges deux jours en remontant la côte en direction du Kenya. Nous avions mouillé le soir dans l’embouchure d’une rivière au pied d’un village de pêcheurs africains d’où montait à la nuit tombée le son lancinant des tam-tams. Souvenirs de la torpeur d’une nuit africaine et de mon ancre qui chassait à cause des courants de marée.
En 1990, soit à peine deux ans après notre arrivée nous rentrions en France à Lyon. Ondine avait retrouvé un nouveau propriétaire, en l’occurrence mon sympathique ami allemand et nous allions rejoindre Venexiana 2 entre Port Camargue et le CVL.